EXTRAIT
(...)
ANNIE (Accusant.)
Quand je pense que t’es même pas venue au salon. J’en reviens pas.
STÉPHANIE
Recommence pas là! Y’a assez de tes 45 messages pour me faire sentir coupable.
ANNIE
C’était important que tu sois là!
STÉPHANIE
(Elle imite sa sœur avec ironie.) Stéphanie, c’est la dernière chance que t’as de voir ta mère…
ANNIE
C’est vrai!
STÉPHANIE (Sur le même élan.)
Elle est tellement belle dans son cercueil.
ANNIE
J’ai jamais dit ça!
STÉPHANIE (Sur le même élan.)
Une mère, on en a juste une… Je le sais qu’on en a juste une!
ANNIE (La confrontant. Directe.)
Steph! Notre mère est morte!
STÉPHANIE
Ben justement, ma mère, c’est vivante que je l’aimais, à quoi ça me servait d’aller la voir au salon funéraire, couchée dans une boîte de sardine avec 4 pouces de maquillage dans la face?
ANNIE
Pour recevoir les condoléances de la famille pis des amis.
STÉPHANIE
Une file de monde avec des faces de bœuf qui sait pas quoi te dire pis qui te prend en pitié… Non merci! Pis qu’en plus ils te demandent comment tu prends ça! Ma mère est morte, comment tu veux que je prenne ça!
ANNIE
Ça a pas de l’air de te faire grand chose toi.
STÉPHANIE
Pas parce que je montre pas ma peine que j’en ai pas.
STEVE
Tout le monde nous a demandé t’étais où.
ANNIE
J’étais assez gênée. Je leur ai dit que t’étais en voyage dans le sud pis que t’avais pas pu avoir d’avion pour revenir.
STÉPHANIE
C’est pour ça que matante Monique m’a demandé six fois si je lui avais ramené du rhum. T’aurais pu trouver une autre menterie.
ANNIE
Déjà que je t’ai couvert!
STEVE
C’est un peu cheap que tu sois pas venue.
STÉPHANIE (Sur la défensive.)
Hier, j’étais aux funérailles, c’est ça qui est important. Ça me tentait pas de niaiser deux jours au salon. De rencontrer toutes nos matantes : (Elle les imite.) « t’as donc ben changée » « Y’é où ton p’tit chum? Ah! T’es encore célibataire? » Ben oui calisse! (À son frère.) J’ai tu le droit de vivre mon deuil à ma façon?
PATRICK
T’as le droit!
STEVE
Dans ces affaires-là, y’a des règles à suivre.
PATRICK
Des convenances.
STEVE
Hein?
PATRICK
On appelle ça des convenances.
STEVE
En tout cas, y’a des affaires à faire pis des affaires à pas faire. Pis quand tu fais des affaires à pas faire, ben, t’as l’air de quelqu’un qui fait pas les bonnes affaires.
PATRICK (Avec délicatesse.)
Disons que ta présence aurait été importante.
STÉPHANIE (Se défendant.)
J’haïs les salons mortuaires. Je suis allergique au tapis. L’odeur du formol dans lequel ils trempent les morts avant de les faire sécher sur une corde à linge, ça me lève le cœur. Pis l’espèce de curé qui nous fait prier, je le sais tu moi quoi répondre à ses prières? Je marmonne n’importe quoi comme un ado qui a la bouche pleine!
Temps. Malaise.
STÉPHANIE
Vous auriez pu me le dire que le notaire était pas là. Ça m’aurait évité un voyage! On remonte-tu en haut?
Elle veut partir. Annie la retient.
ANNIE
On peut pas.
PATRICK
Le notaire a laissé cette enveloppe-là à Annie. Le souhait de maman, c’est qu’on lise son testament nous-même… ici… dans le sous-sol.
STÉPHANIE
Jamais capable de faire comme tout le monde, elle. C’est comme à l’enterrement, j’ai pas encore compris pourquoi fallait tous être habillés en couleur lumineuses plutôt qu’en noir. Un enterrement, c’est noir, c’est pas coloré. Pis moi, les couleurs, ça m’élargit.
PATRICK
Maman a jamais vécu comme personne, pourquoi elle essaierait de mourir comme tout le monde.
STÉPHANIE
Pour que ça soit plus simple pour nous autre. J’ai mis deux stylistes là-dessus pendant trois heures. La tendance est au fushia cet été, pis moi pis le fushia… Pis veux-tu ben dire qui avait fait le choix de tounes.
(...)